« c'est vrai, Papa,il y a eu un génocide au Rwanda ? »
Oui ma chérie. D'avril à juillet 1994, une violence atroce a coûté la vie à beaucoup de personnes. Sous prétexte de venger le président Habyarimana Juvénal, mort d'accident d'avion dans la nuit du 6 au 7 avril 1994, la violence embrasa le pays telle une citerne d'essence qui, brisée, enflamme tous les champs environnants. Feu Alison Des Forges saurait peut-être vous décrire le mieux la nature et l'ampleur de ladite violence. Dans son livre intitulé Aucun témoin ne doit survivre, que je vous recommande par ailleurs de lire, l'historienne américaine part des massacres des centaines de milliers de personnes dans les parties méridionales du pays pour conclure au dessein génocidaire.
Dans Kigali, la capitale, la violence a commencé par se focaliser sur les familles des Tutsis qui avaient acquis des positions dans la hiérarchie administrative et dans les affaires. Dans des quartiers comme Kacyiru, Remera, Kimihurura et Nyamirambo, ils étaient arrêtés et tués sur le champ. En raison de leur connexion au monde extérieur, ils étaient suspectés d'organiser des fuites, des résistances ou des dénonciations des massacres dont leurs compatriotes étaient victimes. Au même moment, les personnalités de l'opposition, même supposée, au gouvernement, à la mouvance du président, étaient assassinées avec, souvent, des membres de leurs familles. Il s'agit, par exemple, de Mme Agathe Uwilingiyimana, alors Premier Ministre, M. Joseph Kavaruganda, alors président de la Cour Constitutionnelle, organe proche de la Cour Suprême d'aujourd'hui. Il s'agissait, enfin, des ministres et députés, alors en fonction ou désignés pour faire partie de ce qu'on avait habitude d'appeler le Gouvernement et l'Assemblée nationale de transition à base élargie. Je vous signale brièvement que ces derniers étaient issus de l'accord signé à Arusha, en Tanzanie, le 4 août 1993, entre le gouvernement du Rwanda et le Front patriotique rwandais (le FPR). Ils étaient en guerre depuis le 1er octobre 1990.
Revenant sur le déroulement du génocide, à partir spécialement du 9 avril 1994, il eut un massacre systématique des familles des Tutsis.
L'ETO à Kicukiro “ l'école technique officielle “ dans les environs de la ville de Kigali, notamment dans les communes de Gikomero, Rubungo et Gikoro, qui abritaient les parents et proches de votre mère ; à Ntarama et Nyamata, dans Kanzenze, à Ngenda, à Rilima-Gashora et Shyorongi de la préfecture de Kigali ; à Kiziguro et Kiramuruzi de la préfecture de Byumba ; à Musambira, Runda, Taba, Ntongwe, Mugina, Mukingi, Masango et à Byimana de la préfecture de Gitarama ; dans les églises de Nyarubuye, Rukara dans la commune de Rukira, au centre de Saint-Joseph, à Sake et Mugesera dans la préfecture de Kibungo ; à l'église et au stade de Kibuye, à l'église de Mubuga, à celle de Birambo et à l'hôpital de Mugonero dans la préfecture de Kibuye ; dans les églises de Shangi, Nyamasheke et Mibirizi dans la préfecture de Cyangugu ; dans les églises de Kibeho, Cyanika et Kaduha dans la préfecture de Gikongoro ; dans les églises de Cyahinda, Mugombwa et Kansi, à Kibilizi, à Nyumba et Bitare-Gashiru de Gishamvu, à Kabuye-Ndora, Saga-Kanage de Kibayi, à l'hopital et à l'université de Butare, dans les communes de Nyabisindu, Ntyazo, Muyira, Mugusa, Shyanda, Kigembe, Rusatira, Runyinya, Huye et ailleurs dans la préfecture de Butare ; dans la cathédrale de Nyundo, préfecture de Gisenyi, pour ne citer que ces régions, si les meurtriers essayèrent, dans la mesure du possible, de ne tuer que les Tutsis, ils s'efforcèrent en même temps de les tuer tous.
Partout, le massacre était effectué par des gens opérant généralement en grands ou petits groupes, selon que les cibles étaient rassemblées dans des endroits publics (écoles, marchés, stades, églises, bureaux des administrations locales, etc.), tentaient de fuir et/ou cherchaient refuge dans des maisons des voisins hutus. Surprises dans les cachettes ou attrapées en train de fuir, les victimes étaient assommées à coups de canon, de grenades, de machettes, de gourdins, brûlées ou enterrées vives dans des fosses communes.