Fiches de lecture du livre numérique : UN ZOUAVE, PLACE PIGALLE
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10 février 1934. Le soir tombait sur Oran. La ville s’étendait, l’hiver teintait de bleu les cieux et les eaux, la Méditerranée séparait la province d’Oranie d’une métropole troublée par une nuit d’émeute et un massacre politique, quatre jours plus tôt à Paris.
Ici, un vieil homme menait son dernier combat. Il s’appelait Ladislas Waldlewsky. La fenêtre de sa chambre de souffrance s’ouvrait sur une grande place ombragée donnant sur la mer au nord. D’un côté l’azur immense, de l’autre la ville ancienne poussiéreuse et bruyante.
De son lit, il ne percevait plus les piaillements des moineaux dans les ficus, ni les cris d’enfants jouant sur l’esplanade parmi lesquels devait se trouver Alban, le fils de Jacques.
L’approche de la mort ramenait son esprit aux origines. Il y avait une Pologne qui persistait au loin, et puis une jeune femme, jupe relevée, fusil en main, dans un Paris en feu...
Tout cela était bien éloigné de cette terre africaine où il avait débarqué en 1898 à la recherche d’un fantôme, un certain Miguel auquel il devait la vie.
Ladislas était seul. Dans le salon attenant, sa bru Eugénie devait patienter, tandis que la bonne entrait parfois changer l’eau d’un verre ou vérifier s’il dormait.
En lui-même il ricana : on tâtait son pouls, on attendait la fin. Mais il s’en voulut, car tous l’aimaient, et souffraient avec lui.
Un cancer, un déclin de trois ans, et ces douleurs que la morphine du docteur Saez parvenait à calmer de moins en moins longtemps.
Un rayon de soleil parvint à s’infiltrer entre les rideaux tirés. Son esprit s’en fut soudain vers son pays de naissance : la Pologne.
Il eût aimé raconter sa vie à son fils Jacques. Jamais il ne l’avait fait. Surtout celle d’avant que le petit fût né, à Béthune, en 1894.
C’était le temps de la mine, des poussières, de la boue et... du rêve. Son rêve d’alors s’était réalisé : aller vers le soleil et cette ville d’Oran dont le zouave lui avait parlé à Paris en 1871.
Il n’avait qu’une adresse sur un bout de papier qu’il avait gardée précieusement pendant trente ans avant de faire le saut. Et le saut fut fait : il mourait sur cette terre d’Afrique du Nord, sa terre, celle de sa descendance.
Mais son histoire, celle, en quelque sorte, qui l’avait amené là, il l’avait tue. Il s’était comme emmuré dans la tragédie, ou plutôt c’est elle qui l’avait enfermé dans son mutisme pour qu’il n’en sortît plus.
Et ainsi son esprit le transporta-t-il aux confins de sa vie, en 1852 à Varsovie.
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