Fiches de lecture du livre numérique : L'EMPIRE EN VACANCES
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Je suis descendu sur cette côte comme un touriste ordinaire. Sans doute par crainte de m’avouer à moi-même un romantisme un peu désuet, j’occultai le but réel de ma visite sous une désinvolture que j’imaginais inaliénable. J’avais toutefois l’impression de pénétrer par effraction en un lieu resté secret à l’horizon de mon souvenir. Un temps infini s’était écoulé depuis l’époque où j’apercevais presque chaque matin un dense triangle montagneux en avant-scène d’une aube magique sur la mer. Je scrutais, discernais même à la longue-vue les signes d’une présence humaine, mais toujours l’île s’était refermée sur son mystère, lointaine, pudique et voilée. Que de fois, ayant quitté ces lieux, n’avait-elle surgi dans mon rêve, miraculeusement rapprochée ; une brume épaisse se levait et elle me révélait un port, des maisons, des falaises. Puis ma vue se troublait à son jeu de disparition et irréel retour.
Tout maintenant avait été différent. Dès l’approche, depuis le pont du navire, par une claire matinée de fin d’été. Les premières falaises, arrondies et vêtues de maquis, plongeant l’alternance contrastée de leurs doigts rocheux dans une eau calme, annonçaient des lieux paisibles et accueillants. Impression confirmée à l’arrivée du ferry. Les deux forts rougeoyaient sous les réverbérations des toits de la ville. Portoferraio, le « port du fer « , avait définitivement perdu un quelconque vestige de l’activité liée à l’extraction minière. Un monocoque traversait la rade au moteur, voile dépliée et plate, impatient des premiers souffles du large. Plusieurs barques, amarrées à leur bouée. Et un immense voilier milliardaire pointant ses cinq mâts vers le ciel.
J’étais seul. Les circonstances de la vie me permettaient cette visite. Aussi me suis-je dirigé sans hésiter vers le centre historique, au-delà des épaisses murailles médicéennes. J’eus aussitôt l’impression de laisser derrière moi une effervescence des quais, bien naturelle sur le principal embarcadère de l’île. La seconde crique, correspondant à l’ancien port, se constellait d’une flottille aux dimensions plus réduites, voiliers, motorisés de plaisance, barques simples. Les places, les rues, derrière l’énorme carapace de pierre, voulaient s’animer tout autant, mais l’activité se trouvait confinée en des espaces plus restreints. Les immeubles anciens gardaient sous leur ombre les rues étroites. Sans l’avoir prémédité, je m’approchai de l’Hôtel de Ville, intéressant et chargé d’histoire certes, mais sans commune mesure avec les palais communaux des grands sites toscans. Je m’attardai un instant à son entrée qui affichait de banales indications horaires, puis pénétrai dans un « trois étoiles « situé sur une place voisine. J’y pris une chambre puis redescendis m’attabler sous les puissantes voûtes du bar-restaurant. Je demandai une spécialité elboise. Je restai ensuite sereinement à déguster par petites gorgées l’aleatico sirupeux dont le goût légèrement fait, rezinato disent les Grecs, était atténué par un glaçon qu’on avait mis dans mon verre. Plusieurs touristes extérieurs ou étrangers séjournaient un moment. Comme ma table se trouvait proche du restaurant, je demandai à y rester pour un dîner léger plus animé, égayé par la vitrine de l’établissement qui recevait encore des rayons du couchant. On apercevait sur un côté l’Hôtel de Ville, et là, sans doute, se trouvait la vraie raison de ma requête. Tout à l’euphorie de cette soirée, je fis une rencontre. Une voisine de table qui terminait seule ses vacances. Elle était originaire de l’île mais n’y avait plus de famille. Son mari avait dû rentrer à Milan pour affaires. Ainsi s’expliquait sa présence à l’hôtel. Elle avait dit tout cela, cédant à une impulsion, sans que je l’eusse particulièrement interrogée. Puis, réalisant sans doute le caractère trop spontané de cette conversation, elle s’était vite retirée, non sans m’avoir toutefois demandé la raison de mon séjour, comme si elle avait tout de suite deviné que je n’étais pas tombé sous le seul charme de l’attrait touristique. J’avais prononcé un mot qui parut l’intriguer mais elle ne le releva pas.
Comment occuper une soirée solitaire d’arrière-saison méditerranéenne ? Un petit tour sur les quais où je remarquai alors la plaisance traditionnelle étirée le long de l’arrondi du vieux port et plusieurs chalutiers serrés à leurs amarres. Mais aucun ponton artificiel ni grouillement touristique en ces lieux affectés aux nécessités quotidiennes.
Ensuite, par les ruelles sombres et les escaliers, je montai au fort Stella. Panorama lumineux classique d’un côté, légère brume marine, humée au travers de cyprès et palmiers. Le trou noir d’une nature immuable. Vision figée par le temps, déjà porteuse de nostalgie et soif d’évasion.
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