Dans La Statue de sel, Jean Amédée Pasdeloup poursuit son exploration de l'âme humaine. À la différence des Pas de Ménade, ce volume ne retrace pas le voyage de son héros dans un pays qui pourrait ressembler au nôtre, tant ses rencontres évoquent des personnages et des situations du temps présent.
Utiliser l'évocation de la statue de sel, c'est obligatoirement nous ramener à des temps anciens où, par la faute de quelques-uns, Sodome et Gomorrhe subirent le feu du ciel, et la femme de Loth ayant voulu regarder en arrière, fut transformée en statue de sel.
Quelles amours, quelles craintes, quels regrets, quels remords cachent cette solidification mortelle que dissoudra la première pluie ? Et de quelles pensées se chargea la mémoire de ceux qui assistèrent à ce spectacle ? Le sel, par l'ambivalence de sa fonction « cadeau de bienveillance ou épandage de stérilité « nous offre le choix des possibles.
L'histoire revue en cette Statue de sel de Jean-Amédée Pasdeloup commence au XIIIe siècle : c'est une famille anoblie dans des conditions obscures, mais liées à un « valeureux exploit « qui ferait certainement frémir la bonne conscience du jour. Si l'on ajoute que l'épée et la croix sont les ingrédients de base de cette histoire, autant dire tout de suite qu'elle ne ferait pas les gros titres de journaux contemporains... sauf pour s'en gausser, car ces personnages, de leur siècle sont aussi humains que nous : ils connaissent faiblesses, déceptions, sursauts d'énergie, fatigue, doute, grandiloquence autant que grandeur, et autres apparats de valorisation ou de défaite. Ainsi cet ancêtre : « [...] persuadé de ce que son allure virile et droite au but avait provoqué l'envolée de la jeune personne dans ses bras, fut contrit d’apprendre qu'il n'était qu'une échappatoire. « Ou ces autres : « Aucun des garçons ne fit montre des qualités (c’en étaient à l’époque) belliqueuses, c'est-à-dire promptes à défendre la veuve et l’orphelin. « Jusqu'à ce lent épuisement : « Un vicomte sans toit, pour seule cuirasse son blason, reprit le flambeau. Ruiné, sans archives, il devait oublier son pedigree et se fondre dans l'anonymat de la roture. Cette situation qui n'avait rien de dégradant n’émut pas le nouveau rejeton. Vivre sans se poser de questions était son maître mot. «
Alors commence la pièce maîtresse du roman : le chemin de connaissance entre un père libertin, pris d'une femme à l'autre, dans un monde futile, et son fils qui le découvre en son âge adulte, au fil des questions qui s'accumulent : celle du bonheur sur terre, du regard sur les autres : « En désespoir de cause, il s'était retourné vers lui-même, à la recherche de sa réalité dans le regard des autres. Il n'en recevait que des reflets sans relief. Il devait être autre. Qui le lui dirait ? Qui le lui ferait découvrir ? «
Peut-être ce religieux à qui il s'adresse ainsi : « Père, Cette appellation officielle, je vous la donne aussi, bien qu'elle ne corresponde, pour moi, ni à un rapprochement de confiance, ni un souhait d'épanchement. Vous avez essayé de me représenter l’Église telle un havre où l'homme trouve soutien et vérité, qui accueille les éclopés de la vie. «
Saurons-nous vraiment, au moment où : « [...] ce corps qui allait se transformer en cadavre, dont l'âme s'évaderait dans l'incertitude de ce qui l’attend : statue de sel qui se déliterait cristal par cristal, dont le visage de Janus ne se retournerait pas. Quelle face de lui-même devrait-il tourner ? «
L’œuvre de Jean-Amédée Pasdeloup est-elle de notre siècle ? Ah !La méchante question. Elle est de tous les siècles, de toutes les cultures, pour peu qu'on s'intéresse à l'homme dans toutes ses dimensions, et à son interrogation éternelle, remodelée d'âge en âge, prise dans l'étau de nos incertitudes ou de nos fuites.