Fiches de lecture du livre numérique : CAHIERS D'ATELIER
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On ne lit jamais assez les écrits des peintres. En publiant les Cahiers d'atelier de Victor Cupsa, Lettropolis aide à pallier cette lacune.
Pourquoi en est-il ainsi ? Certainement pour des raisons multiples. L'une de celles qui nous concernent spécifiquement, en France, vient de ce recul instinctif que nous éprouvons devant celui qui ose franchir des barrières entre lesquelles nous l'avions si bien rangé. Eh quoi ! peine avais-je eu le temps de le reconnaître en cet équipage qu'il en monte un autre ! Allons, pierre qui roule n'amasse pas mousse. Revenons à nos moutons, et que chacun fasse son métier pour que les vaches soient bien gardées !
Mais cette approche sociologique, pour intéressante qu'elle soit « assez restrictive, reconnaissons-le « néglige un pan fondamental de la question... des questions devrions-nous dire.
Et fondamentalement, par quels étranges cheminements, l'homme en est-il venu à poser sur les murs, directement on non, des images du monde ?
Quelle transgression du principe de réalité a-t-elle bien pu occuper son esprit pour que la nécessité d'un intermédiaire ait démangé ses mains à ce point ? Ne suffisait-il point à l'homme de Lascaux de voir et de vivre, de trancher dans son morceau de bœuf pour se repaître de corps et d'esprit ? Quelle étrange lubie, après la chasse de tremper ses mains de terre rouge, puis d'inventer des instruments mieux adaptés à son extravagant caprice ?
Après la chasse ? Et pourquoi pas avant la chasse, pour appeler, ou attirer, ou invoquer ? Et pire encore, pourquoi pas hors de toute chasse réelle, hors de toute idée de chasse, éclair survenant dans l'esprit d'un imagier de circonstance, au hasard d'un rêve, d'un vagabondage de l'esprit ? Et plus spécifiquement, au besoin de dire, de transmettre, de se confronter aux autres, tous les autres, ceux du clan, les petits, les forts, les laids, les bons, les méchants, les affreux, et ceux des autres clans, plus laids, plus affreux, plus méchants encore, ou, tout au contraire, attirants, aimables, pourvoyeurs d'autres nourritures de corps et d'esprit ? Les autres... tous les autres, ceux du monde des hommes, et ceux du monde des bêtes, et ceux de l'autre monde, les ancêtres, les grands ancêtres jusqu'aux plus grands de tous, ceux ou celui en qui le cœur se reconnaît ou se réfugie, celui qui peut-être saurait répondre à tant de questions étouffantes ?
Alors, notre homme de Lascaux... ? Alors, Victor Cupsa... ? Eh bien ! Délivrons le grand secret : entre eux, rien n'a bougé, rien n'a changé… hors les Cahiers d'atelier et c'est, je crois, un des grands compliments que l'on puisse faire à un peintre de talent.
Ceux qui les ouvriront en ne s'attachant qu'à la qualité picturale, à la richesse de la palette, à la maîtrise de la main, ceux-là ne seront pas déçus. Mais s'ils s'en tenaient à cette approche, ils ne feraient qu'effleurer le monde de la peinture, et à peine plus celui du peintre.
Ceux qui voudraient ferrailler de l'intelligence stérile, trouver des correspondances fumeuses avec des théories à la mode, s'en tenir à des symboles décharnés, ceux qui voudraient coller à force des mots convenus sur les œuvres de Victor Cupsa, ceux-là manqueraient l'essentiel. Pire, ils le trahiraient.
Quant à ceux qui s'attacheraient, à partir de la recension de l’œuvre, à découvrir les secrets intimes du peintre, qu'ils passent leur chemin. Ou plutôt qu'ils changent de plan. Car, Victor Cupsa, simplement, ose nous ouvrir son âme d'homme dévasté par les tragédies du vingtième siècle. Il ose parce qu'il sait, qu'il a vécu, et qu'ayant été éprouvé, il n'a point besoin de prouver. Il obéit à la grande loi des hommes vivants : transmettre l'expérience pour ranimer leur courage sur des chemins hasardeux. Il en a trop souffert de ces démolisseurs du monde, de ces bûcherons dévastateurs, de ces producteurs en schizophrénie sociale. C'est pourquoi reviennent, obsédants, les thèmes du mur, de l'arbre coupé, de l'envahissement par le sable, des vents contraires, de la vie fragile, prisonnière. Il a porté le regard dans les bauges de « l'Homme Nouveau » et il témoigne, à sa façon, de tout son art qui est grand, de toute sa technique qu'il doit aux grands ancêtres dans les pas de qui, humblement, il remet ses pas comme d'autres remettent leur âme.
Il témoigne pour les petits, ceux qui ne comptaient pas dans les grands partages du monde, ceux qui furent déracinés, transplantés, dévitalisés, comme de vieilles dents promises au dentier prétendument salvateur. Et il suggère qu'un rameau peut renaître d'un tronc massacré, qu'un souffle de vent peut remettre le navire sur son cap, qu'un mur offre peut-être une ouverture, que des échelles se portent vers le ciel, mais que l'escalade n'en est pas moins rude et hasardeuse.
Espère-t-il encore ? La question n'est pas à lui poser. Il nous oblige à nous la poser. C'était là son devoir d'homme et de peintre. Il l'a accompli.
À nous d'ouvrir ses Cahiers d'atelier et de suivre la route, notre route...
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